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descendit les escaliers, mais le grand air détermina son ivresse qui fut hideuse. Coralie et sa femme de
chambre furent obligées de monter le poète au premier étage de la belle maison où logeait l'actrice, rue de
Vendôme. Dans l'escalier, Lucien faillit se trouver mal, et fut ignoblement malade.
- Vite, Bérénice, s'écria Coralie, du thé. Fais du thé !
- Ce n'est rien, c'est l'air, disait Lucien. Et puis, je n'ai jamais tant bu.
- Pauvre enfant ! c'est innocent comme un agneau, dit Bérénice.
Bérénice était une grosse Normande aussi laide que Coralie était belle.
Enfin Lucien fut mis à son insu dans le lit de Coralie. Aidée par Bérénice, l'actrice avait déshabillé avec
le soin et l'amour d'une mère pour un petit enfant son poète qui disait toujours : - C'est rien ! c'est l'air.
Merci, maman.
- Comme il dit bien maman ! s'écria Coralie en le baisant dans les cheveux.
- Quel plaisir d'aimer un pareil ange, mademoiselle, et où l'avez-vous pêché ? Je ne croyais pas qu'il
pût exister un homme aussi joli que vous êtes belle, dit Bérénice.
Lucien voulait dormir, il ne savait où il était et ne voyait rien, Coralie lui fit avaler plusieurs tasses de
thé, puis elle le laissa dormant.
- La portière ni personne ne nous a vues, dit Coralie.
- Non, je vous attendais.
- Victoire ne sait rien.
- Plus souvent, dit Bérénice.
Dix heures après, vers midi, Lucien se réveilla sous les yeux de Coralie qui l'avait regardé dormant ! Il
comprit cela, le poète. L'actrice était encore dans sa belle robe abominablement tachée et de laquelle elle
allait faire une relique. Lucien reconnut les dévouements, les délicatesses de l'amour vrai qui voulait sa
récompense : il regarda Coralie. Coralie fut déshabillée en un moment, et se coula comme une couleuvre
auprès de Lucien. A cinq heures, le poète dormait bercé par des voluptés divines, il avait entrevu la chambre
de l'actrice, une ravissante création du luxe, toute blanche et rose, un monde de merveilles et de coquettes
recherches qui surpassait ce que Lucien avait admiré déjà chez Florine. Coralie était debout. Pour jouer son
rôle d'Andalouse, elle devait être à sept heures au théâtre. Elle avait encore contemplé son poète endormi
Etudes de moeurs. 2e livre. Scènes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de pro
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Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris
dans le plaisir, elle s'était enivrée sans pouvoir se repaître de ce noble amour, qui réunissait les sens au coeur,
et le coeur aux sens pour les exalter ensemble. Cette divinisation qui permet d'être deux ici-bas pour sentir,
un seul dans le ciel pour aimer, était son absolution. A qui d'ailleurs la beauté surhumaine de Lucien
n'aurait-elle pas servi d'excuse ? Agenouillée à ce lit, heureuse de l'amour en lui-même, l'actrice se sentait
sanctifiée. Ces délices furent troublées par Bérénice.
- Voici le Camusot, il vous sait ici, cria-t-elle.
Lucien se dressa, pensant avec une générosité innée à ne pas nuire à Coralie. Bérénice leva un rideau.
Lucien entra dans un délicieux cabinet de toilette, où Bérénice et sa maîtresse apportèrent avec une prestesse
inouïe les vêtements de Lucien. Quand le négociant apparut, les bottes du poète frappèrent les regards de
Coralie ; Bérénice les avait mises devant le feu pour les chauffer après les avoir cirées en secret. La servante
et la maîtresse avaient oublié ces bottes accusatrices. Bérénice partit après avoir échangé un regard
d'inquiétude avec sa maîtresse. Coralie se plongea dans sa causeuse, et dit à Camusot de s'asseoir dans une
gondole en face d'elle. Le brave homme, qui adorait Coralie, regardait les bottes et n'osait lever les yeux sur
sa maîtresse.
- Dois-je prendre la mouche pour cette paire de bottes et quitter Coralie ? La quitter ! ce serait se
fâcher pour peu de chose. Il y a des bottes partout. Celles-ci seraient mieux placées dans l'étalage d'un
bottier, ou sur les boulevards à se promener aux jambes d'un homme. Cependant, ici, sans jambes, elles disent
bien des choses contraires à la fidélité. J'ai cinquante ans, il est vrai : je dois être aveugle comme l'amour.
Ce lâche monologue était sans excuse. La paire de bottes n'était pas de ces demi-bottes en usage
aujourd'hui, et que jusqu'à un certain point un homme distrait pourrait ne pas voir, c'était, comme la mode
ordonnait alors de les porter, une paire de bottes entières, très-élégantes, et à glands, qui reluisaient sur des
pantalons collants presque toujours de couleur claire, et où se reflétaient les objets comme dans un miroir.
Ainsi, les bottes crevaient les yeux de l'honnête marchand de soieries, et, disons-le, elles lui crevaient le
coeur.
- Qu'avez-vous ? lui dit Coralie.
- Rien, dit-il.
- Sonnez, dit Coralie en souriant de la lâcheté de Camusot. - Bérénice, dit-elle à la Normande dès
qu'elle arriva, ayez-moi donc des crochets pour que je mette encore ces damnées bottes. Vous n'oublierez pas
de les apporter ce soir dans ma loge.
- Comment ? ... vos bottes ? ... dit Camusot qui respira plus à l'aise.
- Eh ! que croyez-vous donc ? demanda-t-elle d'un air hautain. Grosse bête, n'allez-vous pas croire...
Oh ! il le croirait ! dit-elle à Bérénice. J'ai un rôle d'homme dans la pièce de Chose, et je ne me suis jamais
mise en homme. Le bottier du théâtre m'a apporté ces bottes-là pour essayer à marcher, en attendant la paire
de laquelle il m'a pris mesure ; il me les a mises, mais j'ai tant souffert que je les ai ôtées, et je dois
cependant les remettre.
- Ne les remettez pas si elles vous gênent, dit Camusot que les bottes avaient tant gêné.
- Mademoiselle, dit Bérénice, ferait mieux, au lieu de se martyriser, comme tout à l'heure ; elle en
pleurait, monsieur ! et si j'étais homme, jamais une femme que j'aimerais ne pleurerait ! elle ferait mieux de [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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