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XVI. L'HÉRITIER DES VALOIS. 142
La belle Gabrielle, vol. 2
 Le peuple, ajouta l'héroïne en s'adressant au reste des conspirateurs, ne niera pas en le voyant qu'il soit le
fils de son père. Maintenant, messieurs, à partir d'aujourd'hui, tenez-vous prêts. Depuis longtemps chacun de
vous connaît son poste et a choisi son rôle. Quelque chose me dit que l'événement est proche. Voilà votre
chef. Et derrière celui-là, j'espère, nul Français ne refusera de marcher pour le triomphe de la bonne cause! Je
vous connais assez pour n'avoir pas besoin de vous dire qu'une indiscrétion est le signal de notre mort. Adieu,
messieurs, et vive le vrai roi!
 Vive le vrai roi! répétèrent les ligueurs en défilant devant la duchesse.
Le jésuite passa le dernier, et, pendant qu'il faisait la révérence:
 Et notre écolier? demanda tout bas la duchesse, est-il prêt aussi?
 C'est pour demain, dit le jésuite, qui se perdit dans la foule des conjurés.
XVII. AMBASSADES
Le lendemain, jour fixé par Gabrielle pour son départ, le soleil apparaissait à peine que deux hommes
enveloppés de manteaux se promenaient en long et en large dans le parterre qui précédait la maison de la
marquise.
Il faisait froid, un froid brillant qui blanchissait la terre. On l'entendait résonner sous l'éperon de ces deux
cavaliers qui causaient ensemble d'un ton aussi échauffé que leurs mains et leurs figures étaient froides. De
temps en temps, l'un ou l'autre levait la tête vers l'appartement de la marquise où rien encore ne remuait.
 Je vous assure, monsieur Zamet, que le roi notre maître m'a donné une triste commission, dit le plus petit et
le plus gelé des deux personnages. Empêcher une femme de faire un coup de sa tête!
 Il y va donc aussi de la tête du roi, monsieur de Rosny, répliqua le florentin Zamet.
 On le dirait, monsieur, et je vous ai mandé pour que nous en causions sérieusement. Je sais tout votre zèle
pour la personne de Sa Majesté, et vous remercie de vous être dérangé si matin pour venir me trouver ici, où
j'étais envoyé par le roi. Oh! le cas est grave.
 Si grave que cela?
 Le roi a le coeur tendre, monsieur Zamet, et depuis que sa maîtresse menace de le quitter, il ne vit plus. A
propos, vous qui avez la vue excellente, ne voyez vous rien bouger chez la marquise?
 Rien encore, monsieur de Rosny.
 Nous aurons le temps de causer un peu avant qu'elle ne s'éveille.
 Mais pourquoi quitte-t-elle le roi?
 Oh! vous le savez mieux que personne, vous qui êtes involontairement la cause de cette rupture.
 Bien involontairement, monsieur, s'écria Zamet comme s'il eût redouté qu'on n'entendît l'accusation des
étages supérieurs. En conscience, je ne suis pas responsable de ce que fait le roi.
XVII. AMBASSADES 143
La belle Gabrielle, vol. 2
 Eh! ne vous en défendez pas tant, monsieur Zamet. Ce ne serait pas un si grand mal que le roi sût et pût se
distraire.
Rosny, après avoir lancé ces paroles, regarda obliquement Zamet pour en apprécier l'effet. Mais Zamet était
Italien, c'est-à-dire rusé. Il ne laissait pas lire sur son visage à première vue.
 Certes, continua Rosny, la marquise est une charmante femme, la meilleure des femmes. Jamais le roi ne
saurait trouver une plus raisonnable maîtresse. Elle ne fait pas trop de dépenses, elle n'a pas trop de morgue ni
d'ambition....
 Voilà bien des qualités, monsieur.
 Eh mordieu! j'aimerais mieux qu'elle en eût moins, j'aimerais mieux que le roi eût affaire à quelque diable
incarné qui se ferait maudire trois ou quatre fois par jour. Le roi s'attache trop facilement, voyez-vous, et il lui
faudrait des cahots, des tempêtes dans le ménage. Est-ce que vous ne connaîtriez pas cela, monsieur Zamet,
un diable féminin assez joli pour que notre cher sire s'en laissât charmer d'abord, assez méchant pour qu'il le
chassât ensuite, cela nous rendrait service?
 Mais, monsieur de Rosny, si le roi est féru d'amour pour la marquise de Monceaux....
 Puisqu'elle le quitte.
 Est-ce bien sûr? demanda Zamet en regardant fixement Rosny. Votre présence ici, ce matin, indique des
projets de réconciliation.
 Vous avez deviné juste. Le roi m'a prié de fléchir sa cruelle.
 Et vous la fléchirez; vous êtes si éloquent.
 Voilà précisément ce que je me demande. Faut-il être éloquent? Est-ce un service à rendre au roi?
 Au coeur du roi, oui.
 Mais à ses intérêts?
 C'est autre chose. Il n'y a d'intérêts que ceux de l'amour pour un homme amoureux.
 Je ferai de mon mieux, dit Rosny, afin de contenter le roi. Mais enfin, il faut prévoir le cas où Mme de
Monceaux serait inflexible. Elle a du caractère.
Sully prononça ces mots avec un accent qui promettait peu de zèle pour la négociation.
 En ce cas, monsieur?...
 En ce cas il faudrait distraire le roi bien vite avec quelque idée divertissante.
 Eh! eh!... c'est plus aisé à dire qu'à faire.
 Cependant j'ai compté sur vous, monsieur Zamet, pour deux raisons.
 Parlez, monsieur.
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